Entre joaillerie et orfèvrerie culinaire à Chicago.
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Temps de lecture 5 min
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Certaines rencontres ouvrent des horizons inattendus, où gestes et matières se répondent.
À Chicago, au restaurant Class’Act du chef Nicolai Mlodinow, est née l’une de ces collaborations rares, à la croisée de la gastronomie et de la création d’objets d’art.
Tout a commencé avec une algue — forme vivante, fluide et mouvante — dont la légèreté a inspiré le premier dessin.
De ces esquisses sont nées des maquettes en cire, puis des pièces en métal, façonnées avec le souci constant de préserver ce souffle organique, ce mouvement initial.
De cette recherche est née une coupelle d’art de la table, pensée pour accueillir une création du chef, un instant suspendu, que le convive savoure en une seule bouchée.
Un objet à la fois fonctionnel et sculptural, où la main du chef et celle de l’artisan se rejoignent dans un même équilibre : celui du goût et de la forme.
Cette collaboration ne s’est pas arrêtée à la table.
De ces algues de métal sont également nées un bracelet, des broches, portées par l’équipe du restaurant, comme un symbole discret d’unité et de créativité partagée.
Le chef Nicolai Mlodinow travaille l’algue Laminaria saccharina, surnommée sucre de mer, pour sa texture soyeuse et sa saveur à la fois douce et iodée. Riche en minéraux, elle évoque la pureté des côtes nordiques et insuffle à ses créations une note marine à la fois délicate et nourrissante.
Enfin, une structure en bois brûlé, où se déploient plusieurs algues dans un mouvement fluide, symbolise la transmutation de la joaillerie vers l’art de la table. Une installation qui célèbre la rencontre entre le geste culinaire et le savoir-faire joaillier.
Entre nos ateliers de Lyon et les cuisines de Chicago, cette rencontre aura donné naissance à une véritable alchimie créative : celle où l’objet devient expérience, et où chaque détail célèbre l’art du sensible.
Au-delà de la création elle-même, ce projet interroge la notion de transformation, au cœur de la joaillerie et de l’orfèvrerie contemporaines. Dans nos ateliers, la matière passe de la cire au métal, du dessin à la forme tangible. Dans les cuisines du Class’Act, les ingrédients subissent le même passage : du cru au cuit, du geste à la saveur.
Deux pratiques, deux rythmes, mais une même quête : celle de la justesse et de l’émotion.
L’objet n’est plus seulement un support, il devient langage. Le métal, patiné et travaillé à la main selon les codes de l’orfèvrerie, capte la lumière comme une surface d’eau.
Il révèle, sans ostentation, la beauté du geste. Ce dialogue silencieux entre le chef et l’artisan inscrit la pièce dans un espace sensible, où la main, l’œil et le goût s’accordent.
Chaque élément du projet — la coupelle, les bijoux, la structure en bois brûlé — raconte une facette de ce dialogue entre joaillerie et orfèvrerie. Le métal évoque la solidité, la permanence. Le bois, lui, symbolise la transformation et la mémoire du feu. Ensemble, ils incarnent cette idée de passage, de transmutation, au cœur même de notre démarche créative.
L’algue, motif central du projet, relie tous ces éléments. Tantôt sculpture, tantôt bijou, tantôt forme architecturale, elle exprime la continuité entre les arts : la même énergie qui anime un plat, un objet ou une œuvre d’artisanat d’exception.
Ce projet souligne la proximité entre deux métiers que tout semble opposer. Le joaillier et le cuisinier partagent pourtant une même discipline du geste : la patience, la précision, la maîtrise du feu — des valeurs essentielles à l’orfèvrerie comme à la haute gastronomie. Leur travail commence souvent par une intuition — une texture, une forme, une idée fugace — qu’ils affinent jusqu’à trouver l’équilibre parfait.
Travailler avec le chef Nicolai Mlodinow, c’était accepter une autre temporalité : celle du service, du rythme imposé par la cuisine, du rapport direct au vivant. À l’inverse, l’atelier de joaillerie et d’orfèvrerie est un lieu de lenteur, d’écoute, de transformation minutieuse. Entre ces deux vitesses est née une tension fertile, une respiration commune.
Ce travail illustre aussi une conviction : la création prend du temps. Dans un monde d’instantanéité, redonner de la valeur au geste lent, à la matière façonnée, devient presque un acte de résistance. Chaque étape — croquis, modelage, fonte, polissage — demande attention et patience. C’est dans cette durée que se forme la cohérence, que se grave l’intention.
De la même façon, un plat ne se résume pas à ses ingrédients. Il naît d’une somme d’équilibres, d’ajustements, d’instincts. C’est ce même équilibre que nous avons cherché à transmettre dans la coupelle : un objet né pour être contemplé, puis utilisé, puis transmis.
Dans la cuisine de Nicolai, chaque assiette raconte une émotion, une saison. Sa collaboration avec The Black Alchemy prolonge cette narration dans la matière : l’assiette devient le prolongement du plat, la forme se fait mémoire du goût.
Cette collaboration entre Lyon et Chicago marque un prolongement naturel de notre démarche : faire dialoguer les savoir-faire et abolir les frontières entre les arts. The Black Alchemy ne cherche pas seulement à créer des objets, mais à susciter des correspondances — entre le métal et la flamme, entre le geste et la matière, entre l’utile et le beau.
L’orfèvrerie culinaire devient ici une forme d’alchimie contemporaine : une exploration du sensible où la main du chef et celle de l’artisan se rejoignent dans un même élan. Chaque pièce garde la mémoire du geste et reflète la lumière d’un instant partagé. Dans ce dialogue entre création et dégustation se cache la vraie beauté : celle de l’expérience vécue.
Ce projet a aussi ouvert une réflexion sur la perception : comment un objet issu de la joaillerie et de l’orfèvrerie influence-t-il la manière de goûter ? Comment la texture du métal, son poids, sa température modifient-ils l’expérience du convive ?
Le simple contact d’un matériau façonné à la main transforme la façon d’aborder un plat. Le regard devient plus attentif, le geste plus lent, presque cérémonial. L’objet, par sa présence, invite à un autre rythme — celui de la contemplation.
Dans cette coupelle, la surface polie reflète la lumière ambiante, tandis que les creux retiennent les ombres comme un relief marin. À travers ces contrastes, nous avons voulu retrouver la sensation d’une algue portée par l’eau, libre mais guidée par un mouvement invisible.
Cette recherche d’équilibre entre fonction et émotion définit l’essence de notre travail. La beauté ne s’impose pas : elle se révèle à travers l’usage, le contact et la répétition du geste. Et lorsqu’un objet parvient à susciter une émotion, ne serait-ce qu’un instant, il devient plus qu’une œuvre : il devient un souvenir.